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Stories and poems that matter. Emotion first and foremost.

Vous reprendrez bien une part de sexe ?

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T’sais, il m’arrive de me lever du lit le matin et de tout voir trembler. Comme un écran qui grésille. Bzitt, je vacille.

Rien à voir avec un phénomène paranormal, juste une histoire de pression artérielle. C’est comme ça. Je bondis du pieu avec aplomb et entends un truc du genre « Ici la voix, ça va être tout noir ! ». Ta gueule.

Tu vois, au moment où j’te parle, j’ai cette sensation d’eau troublée. Cela me fait voguer l’estomac jusqu’au mal de mer. Enfin, façon de parler, ma seule expérience maritime étant une vieille partie de pédalos sur Palavas les Flots. N’empêche que tout remu. Les murs, la fenêtre, le lit ; même cette fille devant moi dont le corps s’excite de gesticulations excessives. Et moi j’suis là, derrière, à faire mes vas et viens de taulard pendant que la voix m’encourage « Défonce tout, défonce-toi, chevauche-la. Tiens, amène-toi, lève les yeux. Tu vois la ligne d’arrivée au fond ?». Bien sûr. J’accélère rageusement au gré des flow saccadés en vue du sprint final. Sauf que je suis aussi habile avec mon zob qu’avec un stylo, et Dieu sait que ça fait longtemps que j’ai arrêté d’écrire. Peu importe, la jouissance ne m’échappera pas. C’est impossible. J’suis comme un ouragan, un souffle, une brise, un pet. Alors faut pas traîner, faut tout cambrer. Et ça va aller. Promis juré. Je suis un champion. Je me le répéterai tant qu’il faudra, champion !

-C’était chouette, n’est-ce pas ?

-Mon entrejambe est un vagin, pas une tarte aux pommes ou un trou à bêcher, t’as du confondre.

J’ai toujours eu du mal à distinguer l’orgasme de la crise d’épilepsie. Sans rancune, c’est la cruauté de la compétition : s’il y a un gagnant, il y a un perdant. Et puis je m’en tape, j’ai instagrammé l’instant.

Au fond, qui gagne ?

Tu vas me dire, « Il est passé où ton romantisme ? Ton coté fleur bleue qui suintait du regard quand tu croisais la petite Clémence de 6eme E ? » Aux chiottes. J’ai tiré la chasse lorsque j’ai vu l’offre sans limite qui s’offrait à moi. Dans cette ère du lèche-vitrine virtuel, je me suis fait livrer des Stan Smith avant d’adopter ma meuf sur un catalogue de photos filtrées. D’un balayage du doigt, je la géo localise, la matche et remplis le caddie. Je suis ce prédateur de supérette devant les étals du rayon frais.

Ici, tout s’achète, puisque tout se vend. Le produit c’est toi. Sois calibrée. Mets-toi en scène. Bonne nouvelle, t’es surclassée en tête de gondole. Attention, la promotion est limitée. Tout est périssable, toi, moi et les yaourts. Et ouais ma vieille, bienvenue dans la surconsommation.

Je fume mes relations comme je calcine mes clopes. Je tire quelques taffes et piétine le mégot avant qu’un affamé se jette dessus en priant le seigneur de lui laisser une dernière latte à crapoter. Un dernier coup à tirer. Comme ça, l’air de rien. Parce qu’on est des mort-de-faim, à l’affût de la moindre petite pilule bleue qui nous la fera raidir pour les 50 années à venir. Histoire de ressentir un truc, presque rien, juste une fois. Encore une fois.

J’te préviens, il est révolu le temps des pétales de rose et de la lettre manuscrite, voici le chapitre de l’amour nouvelle génération. Celui qui se quantifie en Big data. T’as qu’à voir, ma meuf, elle m’aime sous toutes les formes, surtout en émoticônes. Je lui balance des mots fiévreux sur la twtittosphère en 280 caractères. Dans un élan incontrôlé, il m’arrive d’ôter le regard de l’écran, assise sur le fauteuil d’en face, je la devine. Je la devine seulement. Elle rêvait du prince charmant, je rêvais d’un truc de vrai, on a fini par tout simuler pour oublier qu’on s’était égaré. Les satellites n’ont pas juste déglingué les saisons, ils ont tout parasité nos relations. Bzitt.

Mon fil d’actualité est une télé-réalité ; un genre de « Père Castor, raconte-moi une histoire » version non censurée. Toi et moi, dans tout ça, on devient quoi ? Les figurants d’une fiction que l’on monte et démonte au gré des abonnés.

Tu vois, au début, j’étais gêné, limite honteux de projeter le spectacle sur ton mur. Très vite, je m’y suis fait. Aujourd’hui, une partie de mon expérience humaine se fait par le biais de l’écran, c’est devenu obsessionnel. La virtualité devient réalité. Ou l’inverse.

J’ai travaillé mon jeu d’acteur. Je crie fort. Trop fort. Comme si je surjouais.

Qu’importe, ce qui est visible est tenu pour vrai, ça s’affiche ou ça n’est pas. J’veux dire, les petits rien, les moments de partage, ça ne compte pas, je m’en déleste. Elle est dépassée la grande idée selon laquelle la pudeur cartonne au Box-office. Mon idylle, je la tague et l’annote jusqu’au moindre détail libidineux ; je la raconte plus que je ne la savoure.

En vrai, quand je vois ma gueule abîmée dans le miroir, les yeux cernés, les traits tirés, j’me pose des questions ; j’me dis qu’en haut, il n’a pas fait son boulot ; qu’il aurait pu sortir sa boîte à outils et me bricoler un truc plus doux. J’ai l’impression d’assister à une dégénérescence du sentiment, qu’une anomalie génétique lobotomise son patrimoine. Comme ça, sans prévenir. Et si on le laisse se désagréger, si on le laisse crever, tu ne crois pas qu’on aura des regrets ?

En fait, tout est parti d’une information anodine, qui ne l’est pas tant que ça. En un instant, tout a valdingué. Un matin, à la télé, sur les ondes et sur papier, le Haut secrétariat du Temps nous a balancé d’un air grave « Je cours vite. Trop vite. Ne me perdez pas ! ». Il avait raison, je n‘ai pas l’endurance; un soir, j’ai fait le malin, j’ai voulu tester, je l’ai laissé partir devant, le souffle coupé, j’me suis vu claquer. Alors, j’ai décidé de ne pas me risquer, j’ai tout bien fait, j’me suis réglé à la façon d’un défilé du 14 juillet. En avant marche. Je me suis connecté à ton port USB, au reste, au monde. J’ai analysé mes données et automatisé le quotidien.

Dans mon monde à moi, une vie médiocre n’est pas permise. L’essentiel est dans la performance. On en a même fait un culte. Afin d’éviter le bas-côté, je me suis conformé. Sur le net, j’ai raqué une fortune pour participer à la dernière formation all inclusive « Être Super-Productif ou ne pas être ». J’ai tout certifié. Quelle fierté. Au boulot, dans le métro, main dans la main et dans mon pieu, je suis devenu une machine. Comme un guignol à la kermesse de l’école, je m’articule et me désarticule sous tutelle. D’ailleurs, on est nombreux dans ce cas-là. A tel point qu’aujourd’hui, on pourrait lever une armée d’humanoïdes.

A quoi ça sert de fabriquer des robots si on tend à le devenir ? Je me le demande.

Ils ont appelé cela l’uniformisation des cyborgs, une sorte de phénomène mondial qui homogénéise nos vies, de sorte qu’en tant qu’individu, on en devienne insignifiant. Villani a dit qu’il s’agissait d’une suite d’algorithmes qui se complètent les uns les autres dans un mouvement chronophage et qu’au moindre faux mouvement, c’est toute la matrice qui s’enraye. Alors on se standardise et on continue le process’ en respectant cette notice inflexible. T’as qu’à voir, l’année dernière, j’ai coulé une chape en béton sur l’imprévu afin d’étouffer le moindre hasard. Depuis, il est en voie de disparition. Et moi, je suis peinard; parce qu‘à la longue, l’aléa, ça file la pétoche.

En m’acharnant à informatiser, performer et calibrer chacun de mes paramètres, j’en suis arrivé à reconceptualiser l’amour et les sentiments. Je les ai rentabilisés jusqu’à la moindre galoche. Le risque est de devenir intransigeant. Au premier bug, à la première insatisfaction, j‘envoie le fichier dans la corbeille et passe au suivant. Next. Heureusement, il y a du choix. Nous sommes des millions de profils à nous mettre en avant pour tout et n’importe quoi. Une multitude qui facilite nos chances dans cette ère de l’abonnement sans engagement. J’ai l’impression que cette attitude, de type consommateur, repose sur une illusion, qui prévaut actuellement: celle d’être soi, de rester soi, en rajoutant l’autre dans sa vie, mais sans qu’il ne la dérange.

On s’est transformé en plots interchangeables d’un acoquinement à l’autre.

Je ne vais pas te mentir, j’avais capté certains signaux. Il y a quelques années, lorsque ma mère m’a expulsé, le personnel soignant s’est écrié « Gloire au pénis ! ». Mon bâton de réglisse avait reçu le feu sacré, un pouvoir mystique qui n’a rien à envier à la baguette de sureau de l’autre blaireau d’Harry Potter. « Amplificatum ! », qu’ils m’ont lancé. Un sortilège de magie et l’attribut s’est érigé comme un totem qu’ils se sont mis à vénérer. A la manière d’un roi qui marche vers l’aurore, j’ai cru que l’on m’avait doté d’un phare auquel les marins se réfèrent. Sauf que des féministes se sont jetées sur moi en me gueulant “Mort au pénis!”. Alors là, je n’ai plus rien compris, qu’une si petite chose prenne tant d’ampleur, j’me suis dit “Voilà un monde bien saugrenu.” . Et naïf comme je suis, j’me suis laissé embarquer dans leurs délires. Aujourd’hui, je cherche à accoster.

Il y a de la violence dans ce que l’on s’inflige.

Si tu regardes tes artères, t’as tout pleins de cathéters, par lesquels ils te perfusent de normes soigneusement élaborées. Ils y mélangent amour et abus, douleur et plaisir, sexualité et violence, de sorte que tes anticorps ne reconnaissent plus rien. Tu te dis que c’est fichu, une fois que tu l’as dans le sang, l’agent externe se lie aux récepteurs des cellules comme une sangsue. Apparemment, cela comble l’ennui, la solitude, le moindre vide et soulage toute angoisse sous-jacente. T’en finis par te dire que c’est comme ça et pas autrement. Ce n’est pas tellement satisfaisant, mais la rupture nous effraie tant, qu’on choisit de rentrer dans le rang. C’est quand même plus rassurant d’être assisté, tant pis pour l’estime de soi. De toute façon, elle était bien trop précaire.

Au fond, tout ne se vit pas comme une course effrénée. Mais dans un système qui a délaissé l’humanité au profit de l’efficacité, dans un monde où l’injonction à jouir prévaut sur les sentiments, il y a de quoi se paumer. Et ça n’a pas loupé, on avance face cachée, derrière ce personnage fictif qu’on se façonne. Ça devient compliqué de faire la distinction entre réalité et fiction, réel et simulation, êtres humains et avatars. De loin ça sent le vrai, de près, ça pue la contrefaçon. Quelle imposture ! D’ailleurs, est-on encore capables de décliner son identité ?

T’aurais aimé que je te parle d’étreinte plutôt que de lutte ; que je te parle d’émotion et non de mécanique. T’aurais préféré que j’écrive des jolies choses sur ton passage ici. Et sur l’amour aussi. T’as raison. J’aurais pu le décrire avec pudeur et te raconter ses yeux rieurs. J’aurais pu t’en parler de tant de façons. Parce qu’au fond, il est nombreux. Presque autant que nous. Résigné ou exalté. Discret et éclatant. Tantôt raisonnable et insurgé. Les yeux ouverts, la tête haute, il semble fragile et courageux.

Quand j’étais petit, au bord du lit, ma grand-mère me racontait que, n’en déplaise à certains, on pouvait encore le croiser le soir. Il approche comme ça, l’air de rien, sourire en coin ; il nous prend dans ses bras et nous chuchote un truc qui fait « si on se tient, si on s’enlace assez fort, on se sauve. Allez viens, on y va ! ». Je la crois, depuis toujours. Je crois qu’elle l’a connu, et qu’il a largué sur elle des trucs assez fous qu’elle a gardé jusqu’au caveau. Ce qu’elle a essayé de me dire, c’est que par-delà l’écran, la collision des sentiments est réelle, pas virtuelle; que si on se donne cette liberté, celle d’être surpris, la suite est imprévisible.

J’ai entendu dire que d’autres s’en allaient buter la fatalité, qu’ils avaient créé une sorte de cohorte qui force le destin. Des gens qui crient tout haut ce que certains rêvent tout bas. Ce ne sont peut-être que des rumeurs, mais moi je crois que rien n’est figé; qu’on a des choses à exprimer.

Ça te dirait qu’on les rejoigne ? Qu’on essaie d’ériger nos propres règles, qui ne marcheraient pas pour tout le monde, mais au moins pour nous ? Sous les tomates et les hués de ceux qui veulent rester, j’veux être de ceux qui ne renoncent pas. De ceux qui éclairent leur cœur et réchauffent leur vie. De ceux qui se créent des instants vrais. J’veux être de ceux-là.

Quand j’en entends se lamenter « c’était beau avant », j’ai envie de leur gueuler « Ce sera beau tout l’temps » ; c’est mamie qui l’a dit. Je ne te dis pas que c’est facile, doux et joyeux, ce serait trop ennuyeux. Il y a un prix à payer mais c’est vrai, et même ardent. Il ne suffit pas de grand-chose. Il suffit de toi et moi. Et puis voilà. Tant qu’on est là. Tant que des milliards cellules, qu’on n’aperçoit même pas, s’attirent et se connectent, qu’elles créent un truc qu’on appelle alchimie. Tant qu’c’est vivant.

Si on partait dans le sillage de tous les frangins qui ont fait ce choix ?

« Allez viens, on y va ! »

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Jean-baptiste Jlt
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Written by Jean-baptiste Jlt

Tribulations (d’une grande personne)

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