Le jour d’après
François est né catholique de la tête aux pieds, avec un costume sur-mesure sur les épaules, il a mué à l’âge de 18 mois et s’est doté d’une voix grave, terne et monotone. Dans la cour de récrée, il a toujours paru plus âgé que ses camarades de classe et leur voix enfantine. Son allure frêle l’a directement mis dans la catégorie des gamins que l’on choisit par défaut en cours de sport. Avec les filles, il s’y est pris à l’envers. Il fait partie de ces admirateurs timorés, incapables de sortir la moindre syllabe sans rougir de façon embarrassante. Son quotidien bien cadré, entre l’école, le catéchisme et les parties de bilboquet, déprimerait un retraité. Le temps a passé, les choses n’ont pas changé. De la maternelle à Science Po, il est de ceux qui ne rentre pas en ligne de compte. Cette vie merdique, il veut la déranger.
Dimanche 14 décembre 1980. Je me souviens précisément de cette date. Je n’étais pas né, on me l’a raconté. Du haut de ses 25 ans, ce soir, il se prépare. D’abord le nœud papillon, puis les chaussettes rouges. Les mouvements sont précis, l’évènement est important. Dans la loge, l’heure est aux vérifications. Rien ne doit dépasser.
- Suis-je bien apprêté mère ?
- Plus que jamais mon chéri.
D’un geste tendre, elle passe sa main dans ses cheveux afin de replacer sa mèche laissant apparaître une raie bien marquée. Sous le calme apparent, derrière une façade apathique, François est nerveux.
- Je vais y arriver, n’ayez aucun doute.
- Non, bien sûr que non, j’ai foi en toi. Ton père aussi. Tiens, serre ton chapelet et récitons le « Notre père ».
Ils entonnent la prière. Les voix s’accordent jusqu’à s’entremêler. L’instant est solennel.
- Parfait, vas-y mon petit François, montre-leur.
Il ne dit mot, se retourne, regarde droit devant lui et avance. Au bout du couloir, la lumière.
Après avoir été blackboulé, à maintes reprises, des sélections des petits chanteurs à la croix de bois, croix de fer, si je m’en je vais en enfer, il ne lui reste plus qu’une intervention divine pour réussir son passage dans l’école des Fans de Jacques Martin.
L’animateur vedette l’invite à descendre de son banc et prendre place sur l’estrade. Il est 20h, et pour la première fois, les projecteurs se braquent sur lui.
- Comment tu t’appelles ?
- François.
- Et quel âge as-tu ?
- 25 ans.
- Tu n’es pas un peu grand pour être ici ?
- Non.
- Dis-moi, ils sont où papa et maman ?
- Là.
- Oh, je les vois, qu’ils sont mignons. Et que vas-tu nous chanter ce soir ?
- “Si j’étais Président” de Gérard Lenorman.
- Les enfants sont formidables. Allez, on l’applaudit bien fort pour l’encourager.
Sous les acclamations d’un public enthousiaste, François s’élance. Du bout de ses mocassins, il donne le tempo. Le regard déterminé, voire inanimé, le poing serré, il pose sa voix. La rythmique est entrainante, la mayonnaise prend. Les premiers couplets sont un succès, le poing en l’air il paraît extérioriser une émotion. Enfin.
Si j’étais Président de la République,
Jamais plus un enfant n’aurait de pensée triste,
Je nommerais bien sur Mickey premier ministre,
De mon gouvernement, si j’étais président,
Simplet à la culture me semble une évidence
Tintin à la police et Picsou aux finances,
Zorro à la justice et Minnie à la danse…
Un vent de patriotisme souffle sur l’assistance. La main sur le cœur, le public est conquis. L’émotion est forte. Trop forte. François se laisse porter et s’emporte. Au large. Au beau milieu d’un refrain un peu trop ambiancé, sa voix s’enraye. La mesure se déglingue et la justesse se fait la malle. Les cris de joie s’estompent. L’audience se mure dans un silence gênant. François se tait. Il a échoué.
Jacques Martin le balaye d’un regard qui signifie « Game over ». Il n’en faut pas plus pour qu’il comprenne. Par ici la sortie.
Il rase les murs jusqu’au loges. La gorge nouée, devant ses parents, il brise le silence.
- J’ai tout bien fait comme il fallait mais j’ai pas pu, c’était trop pour moi. J’assume pleinement la responsabilité de cet échec et j’en tire les conclusions en me retirant du monde musical dès la fin de cette émission.
- A la bonne heure.
- Un jour, ils finiront par m’écouter, par me voir, et tous ils me craindront.
- Mais pourquoi veux-tu qu’ils te craignent mon chéri ?
- Pour être respecté. Vous comprenez ? Je veux être respecté.
Encore le même matin, seul, dans la salle de bain. Face au miroir, il y pense. Par-dessus son épaule, le souvenir est fugace. Comme une poussière d’antan qui surgit, il le saisit de ses mains rabougries. « Je te tiens, vilain ! ». La clameur des supporters, le triomphe de la Primaire, la conquête du pouvoir, cela s’est joué à peu. Le temps nappe la mémoire d’un épais brouillard. Pointent les relents amers, ceux qui te filent des coups de cutter dans la tronche. Il desserre sa main de cette image à faire mal et laisse la braise se consumer. Il souffle, les cendres s’éparpillent, le passé aussi.
Les projecteurs se sont éteints au printemps 2017, il y a dix ans déjà. Une autre vie. François aurait pu, mais il n’a pas. Cela se résume à cela. L’histoire est réductrice avec les perdants.
Durant la campagne, il a juré « Je vous ai compris ». Certains l’ont cru. Il a pris son air pastoral et nous a confié « Pendant ma sieste, j’ai fait un rêve, un rêve pour nous tous ! ». Il a visé dans le mille, tout le monde avait fait le même. Sauf lui. Il a juste fait semblant pour nous séduire. Il a reprogrammé son sommeil paradoxal pour se faire aimer, devenir celui que les autres choisissent. Il nous a menti et a fini par incarner ses propres bobards.
En pleine tourmente médiatique, ses proches l’ont prévenu : « Il est encore temps, lâche l’affaire, ne t’obstine pas. ». Envers et contre tous, il a dit « Je fais que ce que je veux. ». Il est parti au combat pour lui, sans tenir compte de qui que ce soit. Il s’est acquitté de la valeur de nos voix. Il a oublié qu’on ne lui devait rien, et qu’il nous devait tout. Il s’en foutait pas mal du pays, de sa démocratie, ses cochons, ses trimards du quotidien, ses monts, son terroir, ses espoirs et sa crasse. Il s’est cru intouchable et a omis l’essentiel : Il était là pour nous, pas pour lui. Comme un papillon de nuit, il s’est grillé sur le lampadaire du pouvoir. Il a perdu sans honneur. Et il a fait comme on a voulu, il est rentré chez lui.
On ne refait pas l’Histoire, elle avance. Tu t’accroches où bien tu tombes. C’est la règle ici-bas. Il a dérapé dans le faussé des ménopausées de la politique. Le bas-côté de ceux qui voudraient, mais qui ne peuvent plus. La date limite d’utilisation est dépassée, allez tous vous faire recycler !
Un soir d’avril, il a vidé son bureau. Un peu comme tous ces licenciés de la crise des Subprimes, il n’avait pas vraiment anticipé la fessée, comme si la place lui était assurée et que cela allait continuer pour l’éternité. Pourtant, c’est le jeu. Il l’a juste oublié, histoire de rêver jusqu’à la fin du temps réglementaire. Il a pris son chapelet et fermé la porte. Au bout de la rue Vaugirard, il s’est retourné une dernière fois. Il a eu ce regard grave et lucide qu’ont les condamnés dans le couloir les menant à l’échafaud.
Il s’en est allé et s’est recueilli là, dans son Manoir de la Sarthe, loin des turbulences de la vie publique. On y fait quoi ici ? On prie. La religion recueille les brebis égarées. Un matin, au confessionnal, le curé lui concède « Fils, je te pardonne tes pêchés. ». Nom de Dieu, s’il avait su que c’était si simple.
Bon gré mal gré, François se désintoxique de la politique et s’acclimate à sa nouvelle vie de provincial. Il écume les fêtes de village, les vides greniers et troque ses costumes contre l’habit d’humble retraité. C’est le temps de la reconnexion aux gens. A nous. De prime abord, il ne laisse rien paraitre, le visage stoïque, les gestes sont contrôlés. Il prend l’habitude de commencer ses phrases par « Modestement, je pense que … », mais il n’en pense rien. Il y a ces soupirs, ces regards qui trahissent des fractures invisibles à l’œil nu. Lui, qui voulait tous nous gouverner, a fini par faire comme les autres, à siéger sur son trône des chiottes et tenter de pisser droit.
Un jour de Novembre, pendant que le cimetière se remplit de chrysanthèmes, Père Castor, recteur de la paroisse, bénit les tombes avec son encens qui pue la mort et confie à François qu’il démissionne de son poste de « Chef de cœur ». « Se faire sucer ou gouverner, il faut choisir », c’est en ces termes qu’il lui indique sa décision de se consacrer à l’épanouissement des enfants de chœur. Diriger la chorale de la paroisse : François y voit une opportunité, celle de la rédemption.
Parce qu’il faut le dire, il en a sous le pied, il lui reste quelques kilomètres d’autonomie, et quelques envies. Cela fait des années que François n’a pas brigué de nouveau mandat. Alors il s’interroge. Parce qu’il en a besoin, et qu’il en a le droit. Encore. Faut-il ou ne faut-il pas ? Après tout, que risque-t-il à tenter sa chance ? Il n’a rien à perdre. Il a déjà tout perdu.
Par où commencer ? Par l’origine de son envie. Cela tient à quoi ? A une colère. Celle de voir ses camarades d’église sans chorale, Jésus sans caisse de résonance. C’est l’émotion qui pousse à l’action, pas la raison. Il se mobilise parce qu’il se sent abandonné. Ça l’a pris aux tripes, comme une envie de pisser, il s’est écrié « Je me lance ! ». François, il est comme ça, un tout-fou refoulé.
Il a souvent tenté, trop peu réussi. Dans le palais des glaces de la politique, il s’est pris la dernière vitre à chaque fois. Cette nuit, il a encore rêvé qu’il y arrivait. Les bras levés, il souriait. L’émotion était peut-être trop forte, il s’est réveillé en chialant, comme il le faisait avant. Seul, dans ses draps sales qui puent l’urine de ses cauchemars d’enfance. Pénélope est dans la chambre d’à côté, mais il n’est pas question de se montrer. Plutôt crever que d’afficher sa gueule abîmée par les regrets. Au fond, il n’a jamais voulu briller, mais il a tout fait pour être remarqué, pas tant par narcissisme, que par ce besoin viscéral de reconnaissance, de se sentir exister, de voir la fierté dans le regard de ceux qui l’entouraient, celui que sa mère lui portait. Après tant de collines à moitié gravies, tant de conquêtes tronquées, il est temps. Sur le parvis de l’ascension, il est le Poulidor de la course. Toujours bien placé, jamais vraiment gagnant. Cette fois, il se l’est promis, le dernier coup de pédale sera pour lui.
François met le paquet. Exit la Cour des Comptes, ce sera budget illimité. Enfin, façon de parler, son train de vie a bien changé. Durant quelques jours, François se donne corps et âmes. Il tracte, mène la quête pendant le prêche, prépare l’hostie et le vin chaud à la cannelle. Il est sur tous les fronts. Christine Boutin, sa directrice de campagne, est un soutien de chaque instant : « Allez François, on tient le rythme, t’es pas un pédé. ». C’est moche, mais elle a toujours eu les mots pour le secouer. Un seul meeting suffira, il se tiendra dans le presbytère. Les fossiles de la pratique sont présents, les trois rangées de quatre places sont remplies, il les harangue avec ce phrasé dont il a le secret, ils apprécient.
Le 16 novembre, François est élu Chef de Chœur, à l’unanimité des douze paires de mains levées. Un scrutin digne des plus belles élections du Kremlin.
Bienvenue au gouvernement Fillon IV.
Derechef, un faisceau de lumière puissant traverse les vitraux et se braquent sur François. Il est aux anges. Les yeux dans les yeux et un taux de testostérone à lui en faire péter la prostate, il a la victoire modeste. Un champion, un vrai. Parité oblige, Christine est nommée porte-parole de sa bandas cléricale. Pénélope, assistante de la première heure, prend sa position de pupitre afin de supporter les fiches de son allocution.
Extraits :
« Ces dernières années, mon nom n’a jamais été associé à une affaire ou un comportement contraire à l’éthique (il faut dire qu’il a assez donné). Au sommet du chant ecclésiastique, l’intégrité du Chef et de ses sous-fifres doit être irréprochable, car il n’y a pas d’autorité sans exemplarité. Je veux une transparence et une moralisation totale de nos actes… ».
Il a dit ce qu’il fallait dire, sans vraiment dire quoi que ce soit. Comme d’habitude.
Après s’être rempli les fouilles du pécule de la quête, un sou étant un sou, François invite ses compères de messe à porter un toast au Manoir. L’heure est à la détente. Pénélope ouvre une boite de caviar périmé, vestige des 24 glorieuses. Ces 24 années rémunérées sans trop savoir pourquoi. Ah si, elle se souvient ! fausse alerte. Même Nadine Morano, fidèle de dernière minute, s’est déplacée pour la régalade annoncée. Les retrouvailles sont chaleureuses, à la mesure du souvenir des bringues passées à jouer à « La bonne paye » dans la cantine de l’Elysée. Elle aussi fait partie des épongés du pouvoir. Un jour, elle s’est époumonée « C’est fini tout ça ! ». Il était 2h du matin dans un bar de Meurthe et Moselle, et on s’en tamponnait le ciboulot. C’est le triste sort des grandes gueules trop avides de se faire entendre. La voix les porte, pas les idées. Que reste-t-il lorsqu’elle déraille ? Un Grog de Rhum et sa larme de miel.
Johnny a enflammé les stades de France et de Navarre. Enrico Macias a désencrouté les maisons de retraites avec son fameux « LaïLaïLaïLaï LaïLaï ». François et son gang paroissial enflamment les plus belles chapelles de hameaux. Ils y chantent Jésus et ses valeurs, la diabolisation de l’IVG, le couple hétéro parental.
En Mars, c’est la consécration. Le groupe est sélectionné, par les héritiers de L. Bettencourt, afin d’animer le repas annuel de l’amicale des anciens de l’UMP. C’est le rendez-vous de toute une génération de politicards qui se rassemble pour lutter contre le confinement de leur mise au cachot. Les dinosaures de l’isoloir sont de sortie. Le temps d’une soirée, ils troquent les patates contre la grandiloquence d’antan. Une photo de famille de la belle époque, celle où ils confondaient pouvoir politique et privilèges, tous ces petits trucs qu’ils ont et qu’on n’a pas. Un spectacle à la Merlin l’Enchanteur où les mallettes Libyennes dansaient, Takieddine partageait sa piscine et George Tron s’inventait pédicure.
« On prend les mêmes et on recommence ! »
Le tour de chant fait un tabac. Le sonotone de Raffarin cède sous les déflagrations lyriques d’un entraînant « Marche avec nous Marie, sur le chemin de Dieu. ». Ils sont conquis. « Quel panache ! », s’exclame Juppé. Lors de ces beuveries, ils se sont toujours bien amusés. De nous. La soirée se poursuit, Copé est de la partie. Décoincé de la croupe, il s’agite collé-serré sur un coupé-décalé avec François, omettant les enfilades douloureuses du passé. Au bal des baltringues, ils sont les premiers à s’éclater. Carla et Nicolas esquissent quelques pas. Les Balkany, aussi. Patrick a tendance à tout oublier dans ces moments-là. De manière plus générale, il oublie un peu tout ce qui le dérange, il a cette faculté propre aux politiciens de faire le vide dans sa caboche. Et lorsqu’il commence à ne plus y voir très clair, ivre de tant de folie, il s’approche du petit Wauquiez en lui gueulant « C’est qui le patron ? C’est qui le patron ? ». C’est lui. Parce qu’il faut le dire, passer tant d’années à côtoyer les affaires judiciaires et s’en sortir blanchi demande une certaine aura.
Sur la musique, ils vont, ils viennent et ils s’élancent au-dessus des tables. Le spectacle burlesque bat son plein. Rien ne paraît les arrêter. Ils jouent, s’étreignent et chantent. Le gosier desséché, ils reprennent un coup, se démontent la tête et s’écroulent sur le comptoir le plus proche, blafards de tant de valeurs crucifiées.
Tout à coup, la boule à facette ne tourne plus, les bulles de champagne s’évaporent et les rires deviennent confus. Tout finit toujours par retomber. D’un coup d’un seul. Une chanson de Daniel Guichard, et c’est le coup de blues assuré. Ils se sont sentis seuls, tristes et fatigués. Comme s’ils n’arrivaient plus à encaisser. Ils savent bien qu’on ne veut plus d’eux, qu’on a tiré une croix, mais ils espèrent qu’on change d’avis. En public, ils gardent la face, comme tout le monde. Mais si tu les scrutes lors de ces soirées, tu comprends vite que ce n’est pas vraiment ça, qu’ils en font trop et que ça sonne faux. Les narines surpoudrées, c’est incrusté dans leurs pupilles qu’ils en chient à mort. Su leur visage s’écoulent les larmes d’une époque perdue.
Depuis combien de temps ne ferment-ils plus l’œil ? Je l’ignore. Chaque jour, ils traquent la moindre opportunité. On ne leur a jamais appris que ça. Il faut se le dire, il y a une certaine précarité dans le statut d’Homme politique. Une fois que c’est terminé, on devient quoi ? Un citoyen quelconque. Rien. L’insignifiance est effrayante. Le retour à la réalité peut être violent. Alors pour ceux qui souhaitent préserver un certain confort, il devient vital de flairer le prochain mandat. Très vite, ils tombent dans le piège, celui de devenir des compétiteurs de l’audimat, des voyous de la bonne parole, des professionnels du scrutin. Qu’importe la morale pourvu qu’il y ait les spots. Ce qui compte, c’est d’être visible, quitte à créer du vide, le brasser et le propager. Plus ils en font, plus ils s’affament. Ne dit-on pas que l’appétit vient en mangeant ? L’important n’est pas tant le « Pourquoi » ils ont été élus, que le « Comment » ils vont perdurer, quitte à se persuader eux-mêmes de leurs fausses promesses afin de mieux nous duper.
Au bout de la nuit, ils espèrent encore qu’on prenne soin d’eux. Eux qui sont rentrés dans le rang, empêtrés dans cette cohorte de fantômes que nous sommes. Sauf qu’ils en crèvent. Dans leur empire d’or et de poussière, cela fait bien longtemps qu’ils pigent que dalle à la vie et aux problèmes des gens ordinaires. Dans les quartiers qui bordent l’Assemblée, on peut les entendre gueuler certains soirs d’élections « A l’aide, laissez-moi entrer, sortez-moi de là ! ». Ils n’ont jamais existé qu’au travers de l’importance qu’on a consenti à leur donner. Les regarder les faits se sentir vivants. Ne plus les remarquer les tue.
Haut les mains ! Pan.
La tournée se poursuit. Elle va et vient au rythme des pratiquants persuadés de ressentir un flux christique au travers des leurs beuglantes. Le troupeau communie autour du berger. Le retour au Manoir est difficile. Seul, sans artifices. Derrière la lumière, l’ombre. Dans l’arène de l’oubli, il est ce gladiateur qui frappe le vent, tabasse le temps. Dans le vide. Les pensées noires l’asphyxient. Où sont-ils tous passés ? Il en avait des amis. Trop. Trop peu ? Il n’en n’a jamais eu. A mettre des coups de canif dans la démocratie, tu prends le boomerang de la tromperie en pleine tête. Pourtant, il l’aime son pays. Les pédophiles aussi aiment les enfants.
Ne pouvait-il pas faire autrement ? La politique est-elle indissociable de la délinquance ? Comment en arrive-t-on à jouir d’être malhonnête ? Ça sert à quoi ? Ne peut-on pas jouir d’être honnête ? Il paraît qu’avec le temps qui passe, on devient serein. Il paraît.
Ce soir, comme des millions de téléspectateurs, François regarde le match de l’équipe de France de football à la télévision. La Marseillaise retentit. Avachis dans le fauteuil, il tourne sa tête vers Pénélope comme pour chercher un quelconque acquiescement de sa part. D’un geste tendre, elle passe sa main dans ses cheveux afin de lui remettre sa mèche de côté. « Vas-y mon chéri, lève-toi. » La main sur le cœur, il s’extirpe de l’assise. Elle l’imite. C’est la frissonnade dans le Manoir. Pas un mot, nul besoin. L’instant se suffit à lui-même. L’œil humide, Le regard complice, le sourire timide. François ferme les yeux. Il les voit, le ressent ; Le vrombissement d’une foule qui l’acclame : « Fillon Président ! » et autres conneries partisanes. L’égo inoxydable, il savoure, une dernière fois. Avant le jour d’après.